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Les éditions restaurées d’une œuvre tombée dans le domaine public peuvent bénéficier d’une protection par le droit d’auteur

Le restaurateur d’une œuvre musicale appartenant au répertoire classique et tombée depuis longtemps dans le domaine public peut-il bénéficier d’un droit d’auteur sur les partitions restaurées?

Tel était l’enjeux d’un litige opposant Lionel SAWKINS, compositeur et chef d’orchestre de renom, à la société Harmonia Mundi, l’un des principaux éditeurs français de musique classique.

Le travail du restaurateur d’œuvres musicales anciennes consiste à établir des partitions utilisables par les orchestres modernes et permettant de redonner vie à des œuvres qui, sans ce travail, resteraient dans l’oubli. Pour atteindre ce résultat, le restaurateur doit non seulement corriger les erreurs commises par les différents copistes mais aussi, réécrire les parties orchestrales et vocales manquantes et fournir des indications de jeux, en s’inspirant de sa connaissance du style de l’auteur. Il s’agit d’un travail long et fastidieux, nécessitant des connaissances historiques et musicologiques très pointues.

Lionel Sawkins est un éminent musicologue, ayant réalisé de nombreuses restaurations d’œuvres du répertoire baroque français. A à ce titre, il a été fait, le 24 septembre 2001, Officier de l’Ordre de Arts et des Lettres en reconnaissance de sa contribution au rayonnement de la culture en France et dans le monde.

En 1989, Lionel SAWKINS a préparé des partitions restaurées des œuvres de Michel-Richard de LALANDE, compositeur de musiques sacrées sous Louis XIV at Louis XV, dont les œuvres Miserere à grand chœur et Dies Irae.

Grâce aux partitions restaurées réalisées par Lionel SAWKINS, ces deux motets de LALANDE ont pu être interprétés en 1990 par l’orchestre de la Chapelle Royale, dirigée par Philippe Herreweghe, après deux siècles et demi d’oubli.

Lionel SAWKINS n’avait en revanche jamais donné son accord pour que l’enregistrement de l’interprétation de la Chapelle Royale soit ensuite gravé sur CD et exploité commercialement par la société HARMONIA MUNDI.

Dans un jugement en date du 19 janvier 2005, dont il ne sera pas fait appel, le tribunal de Grande Instance de Nanterre, a considéré que la société HARMONIA MUNDI avait violé pendant plusieurs années les droits d’auteur de Lionel SAWKNIS en omettant de solliciter son accord et l’a condamnée à lui verser des dommages et intérêts.

De même, le Tribunal a jugé que la Société Française de Production et la société CINEMAG BODARD, co-producteurs du film “L‘Allée du roi” réalisé par Nina Companez et diffusé à plusieurs reprises sur France 2 et d’autres chaînes françaises et étrangères, avaient violé les droits de Monsieur Lionel SAWKINS en utilisant sans son accord les œuvres Dies irae et Miserere à Grand Chœur dans la bande-son du film.

Le Tribunal a estimé en effet que Lionel SAWKINS avait bien la qualité d’auteur dès lors que ses éditions étaient le résultat d’un travail intellectuel original.

Après avoir rappelé que “le travail intellectuel accompli par Monsieur SAWKINS a consisté åa élaborer, à partir de sources disponibles lacunaires ou altérées, des partitions permettant de faire revivre les œuvres de LALANDE par le biais d’apports personnels qui révèlent certes, des compétences techniques, mais supposent un véritable travail de création”, le Tribunal a estimé que, même ponctuelles et disséminées dans les partitions, les ajouts ou modifications réalisées par Lionel SAWKINS à l’harmonie, la mélodie et le rythme des œuvres de LALANDE s’apparentaient à un travail de composition et non à un simple travail de transposition technique.

Par ailleurs, selon le Triunal, “l’originalité étant relative, il importe peu que les apports soient disséminés”.

En effet, comme le rappelle Maîtres Alexandra NERI et Sébastien PROUST, spécialistes en droit d’auteur (cabinet Herbert Smith) “La logique du Code de la Propriété Intellectuelle veut que le caractère original d’une œuvre dérivée, telle que l’édition restaurée d’une œuvre ancienne, ne s’apprécie pas sur des critères quantitatifs. Le mérite artistique des apports réalisés ne doit pas non plus entrer en ligne de compte. Seul compte le caractère personnel des modifications, corrections ou ajouts réalisés par le restaurateur dans la composition de l’œuvre, aussi modestes soient-ils d’un point de vue quantitatif ou artistique. La décision du Tribunal de Grande Instance de Nanterre est parfaitement conforme à ces principes”.

De quoi faire réfléchir les éditeurs de musique classique dont la pratique est généralement de travailler avec les éditeurs de partitions restaurées sur las base d’une simple rémunération forfaitaire, dont l’objet est uniquement la mise à disposition des partitions le temps d’un enregistrement.

Le jugement du 19 janvier 2005 rendu par Traibunal de Grande Instance de nanterre rappelle que ces éditeurs peuvent également avoir la qualité d’auteur et qu’ils peuvent de ce fait prétendre à une rémunération proportionnelle à l’exploitation des disques.

Il est à noter que le jugement contient également des précisions intéressantes quant à la nécessité de solliciter l’autorisation de l’auteur avant d’utiliser une œuvre musicale dans le cadre de la band-son d’un téléfilm.

En France, les chaînes de télévision bénéficient pourtant d’un accord général de diffusion conclu avec la SACEM, qui les autorise à utiliser les œuvres figurant dans son répertoire. Les co-producteurs du film L’Allée du Roi prétendaient en l’espèce être couverts par le contrat conclu avec la SACEM par France 2, premier diffuseur du film.

Outre le fait que cet accord n’aurait en tout état de cause pu couvrir que les actes de diffusion sur France 2, à l’exclusion des autres actes d’exploitation (notamment sous la forme de vidéocassettes), le tribunal a écarté cet argument en considérant que ni la MCPS, société de gestion collective anglaise à laquelle Lionel Sawkins était affilié, ni la SACEM, qui la représente en France, n’avaient qualité pour autoriser l’exploitation des œuvres de Lionel SAWKINS dans le cadre de la bande-son d’un film.

D’une part, en effet, le contrat standard conclu entre les auteurs anglais et la MCPS prévoit que cette société ne peut autoriser l’utilisation d’une œuvre de son répertoire sans leur accord préalable. D’autre part, le tribunal a rappelé qu’en toute hypothèse, l’autorisation préalable des auteurs est requise pour leur permettre d’exercer leur droit moral avant toute synchronisation d’un téléfilm.

D’une manière générale, les coproducteurs d’un film ou d’un téléfilm ne peuvent donc, selon le Tribunal de Nanterre, faire l’impasse sur l’obtention préalable d’une autorisation personnelle des auteurs des compositions musicales utilisées dans une bande-son cinématographique.
© Copyright 2009 Lionel Sawkins
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LIONEL SAWKINS
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